L’histoire des filatures françaises

Article transféré depuis mon précédent blog

(Article modifié en septembre 2021 suite aux remarques du responsable commercial Ile de France de DMC)

J’adore lire ces bribes d’histoires sur les anciennes manufactures françaises, les vieilles usines, les bâtiments désaffectés que l’on peut trouver ici ou là. Ce sont celles qui concernent le fil et l’aiguille que je préfère, allez savoir pourquoi ?! Sans doute parce que ce sont les matériaux que j'utilise tous les jours. Cela me passionne, j’ai l’impression de faire un saut dans le temps, de vivre l’histoire de l’intérieur. J’aime ces histoires désuètes, l’atmosphère qui s’en dégage en seulement quelques dates et lignes descriptives. 

Je vais me concentrer ici sur les filatures des bobines de fil dont j'ai fait l'acquisition ou qui m'ont été données par de gentilles et tout autant adeptes des objets qui ont une âme que moi. Cela, afin d'avoir un regard plus avisé sur l'histoire de ces manufactures, toutes finalement infiniment liées, ainsi que leur déclin et ce qu'elles sont devenues aujourd'hui. Le texte peut sembler long, mais il me semblait important de parler des hommes, des siècles et des contextes socio-géo-économiques qui ont fait le devenir des ces manufactures.

J'espère que la lecture de ce texte vous plaira, qu'il n’est pas trop long et malgré tout digeste et vous apportera des informations que vous n'aviez pas, ou une curiosité qui vous emmènera plus loin encore. Ce texte a sans aucun doute des écueils, des manques et des zones d'ombre, je m'en excuse d'avance, je suis allée chercher l'information là où elle était la plus facilement accessible et avec le temps qui m'était imparti. Je serai presque tentée de faire un vrai travail de recherche, aller sur les sites de ces manufactures, dans les archives, et chercher plus loin. Mais... j’ai des dessins brodés qui m’attendent.  

 

Tout d'abord, qu'est-ce qu'une filature ?

C'est le lieu où l’on produit, par des procédés mécaniques, des fils de longueur illimitée avec des éléments premiers limités. Ensuite ce fil peut aller en retorderie (c’est l’action de retordre ensemble plusieurs fils, en sens inverse de la torsion du fil seul) et/ou dans une filterie, pour être monté sur des bobines, ou bien tisser pour faire du tissu (tissage).

Anciennes bobines Dollfus-Mieg et Cie

Les filatures existent depuis le Moyen-Âge. En France, c’est dans les Flandres qu'on en trouvait le plus. Lille étant la capitale du fil à coudre en lin. De nombreuses innovations ont lieu dans ces filatures, dès la révolution industrielle (fin du 18ème) et avec l’arrivée du coton en europe. Les pionniers sont la famille Dollfus au 18ème siècle avec le fil mercerisé – cet aspect lustré qu’ont certains fils (inventé par l’anglais John Mercer en 1844), puis les Thiriez au 19ème (avec le fil glacé en 1860) et d’autres…

En ce qui me concerne, tout est donc parti de quelques bobines, fusettes, cartes et tubes* avec des noms tels que : Wallaert, Thiriez, Cartier-Bresson, JTPF, Dollfus Mieg et Cie. Des noms, qui en fonction des supports en bois, en carton ou en plastique m’ont emportée très loin dans le passé.

*= Il faut aussi savoir que le fil n’est pas seulement enroulé sur de simples bobines, qu’elles soient en bois ou en plastique (révolution dans la fabrication des bobines). Non, le fil peut également être enroulé autour de fusettes en carton, des cartes, des cônes, des tubes (en carton) ou encore en échevettes ou en pelotes. Je vous donne quelques indices pour dater vos supports de fil en fin de texte.

Au 18ème siècle

La société Dollfus Mieg et Cie est créé à Mulhouse en 1746 (suisse à l’époque et réunie à la France en 1798, puis à l’empire allemand de 1871 à 1918, puis à nouveau à la France) en tant que filature de lin puis de coton et semble être la plus vieille filature française connue.

Au départ, Dollfus Mieg et Cie s’appelle en réalité Koechlin Schmaltzer Dollfus et Cie et file du lin pour créer des pièces d’étoffes, imprimées à la main et enluminées au pinceau et fixées à l’aide de mordants. En 1756, les trois associés se séparent et fondent trois maisons différentes qui fabriquent des toiles peintes que l’on appelle des indiennes. Cette appellation vient de l’Inde où la fabrication de ces toiles très fleuries était très courante. C’est alors la naissance de la fabrique « Frères Dollfus, Vetter et Cie » à Mulhouse.

19ème siècle

En 1800, Daniel Dollfus qui est à la direction de l’entreprise familiale se marie à Anne-Marie Mieg. C’est la plus importante entreprise alsacienne de toiles peintes, 700 personnes y travaillent. L’entreprise prend en nom collectif : Dollfus-Mieg et Cie. C’est en 1812 qu’est construite la première filature mécanique, à l’anglaise, et elle est la plus grande de toute l’Europe continentale. L’entreprise réuni donc filature de lin, tissage et impression sur le même site, ce qui est rare à l’époque. C’est en 1815 qu’ont lieu les premiers tests de fixage de la couleur par la vapeur d’eau, avec la construction du bâtiment de la machine à vapeur.

Les Etablissements Dollfus-Mieg et Cie

En 1815, l’entreprise Wallaert est créé à Lille en tant que première filature de coton française.

En 1818, Dollfus-Mieg et Cie emploie 4000 tisserands à bras travaillant à domicile ou dans de petits ateliers ruraux bien souvent dans des caves ou des greniers.

En 1825, Claude Bresson créé une « fabrique à coton », Société Française des cotons à coudre, rue Saint-Denis à Paris. Ce n’est pas encore une filature mais une sorte de grossiste.

En 1826, J & P Coats crée une filature en Ecosse et plus tard à New-York. COATS deviendra le grand concurrent de D.M.C en fusionnant avec différentes filatures et fabriques anglaises et américaines.

Julien Thiriez crée la société du même nom à Loos (près de Lille) en 1832 en tant que filature de coton, de lin et de chanvre, grâce à des métiers actionnés à la main contrairement à d’autres filatures lilloises qui fonctionnent déjà avec des machines à vapeur comme chez Wallaert. L’entreprise Thiriez fait travailler 1800 ouvriers.

En 1834, Dollfus-Mieg et Cie est considéré comme une maison de premier ordre pour les produits imprimés recherchés dans toute « l’Europe et les deux Amériques ».

C’est 1839 que Dollfus-Mieg et Cie fait ses premiers essais de fabrication de coton retors pour la broderie et la couture. En 1840, Dollfus-Mieg et Cie débute la production de fil à coudre vendus au détail sous la marque DM & Cie, l’abrégé de Dollfus-Mieg et Cie. Le nombre de tisserands se réduit suite au développement de la mécanisation.

En 1844, les Ets Wallaert agrandissent leur manufacture avec une filature de lin et d’étoupe.

La Société française des cotons à coudre de Claude Bresson sera cédée à son fils Alphonse et son gendre Claude-Marie Cartier et prendra le nom de Cartier-Bresson en 1842 en tant que filature de coton et autres. Six ans plus tard, cette société compte 150 employés.

La marque Au Chinois est déposée en 1847 par François-Philibert Vrau dont la filature ouvre ses portes 20 ans plus tôt. Ce nom est très typique à l’époque, cela étant dû à l’influence de l’orientalisme en France, et doit se lire comme « fil dont l’image est un chinois ». En effet, beaucoup de noms commerciaux de fils de coton, de laine et de lin se parent de dessins de personnages ou d’objets facilement reconnaissable pour une clientèle qui ne sait pas forcément lire : à l’Amazone, à l’éventail, Au Panier Fleuri, A la Cloche d’Or, A l’enfant Jésus, A la Madone, Au Vieux Renard, A la Louve, Au Tigre, A la Tête de Cheval,  A l’étoile, Au Nain Jaune, A la Nation, puis Au Roi de Siam, Au Prince Kong, Au Birman, A l’Africain, des noms en lien avec les lointains comptoirs et colonies françaises. Des noms désuets presque tous disparus aujourd’hui.

A l’époque le fil ne se vend ni en bobines ni par échevettes mais au mètre et à la demande des clientes sur de petites bobines, ou cartons en mercerie ou chez des vendeurs ambulants. Mais, François Philibert Vrau révolutionne la façon de présenter les fils : des pelotes ceintes d’une étiquette et rangées dans des boîtes de 48 pelotes de 50 mètres. Avec ce principe et un prix fixe, il vend 282 000 boîtes en 1864 puis 1 950 000 boîtes en 1875 soit 93 millions de pelotes, l’équivalent de trois pelotes par français par an.

Voilà le paysage des principales filatures françaises à la moitié du 19ème siècle.

En 1850, un membre de la famille Dollfus rapporte d’Angleterre la technique du mercerisage. La devise de DM & Cie devient « d’un fil si fin, on tisse un grand ouvrage ». Le fil mercerisé peut concurrencer le fil de soie, la famille se lance donc dans l’industrialisation de ce fil mercerisé pour ouvrage de dames. DM & Cie créé la première machine au monde à merceriser. C’est à la même période que l’activité de fils pour ouvrage devient de plus en plus importante. C’est l’entreprise DM & Cie qui offre la plus grande gamme de couleurs de fils au monde sous la marque D.M.C. C’est la naissance du coton mouliné tant apprécié des brodeuses traditionnelles.

En 1857, le fils de Julien Thiriez rejoint son père et la société Julien Thiriez Père & Fils, JTPF est créée. Ils remplacent le métier à main de leur filature par un manège de 6 chevaux - l’origine du logo à tête de cheval – qui est ensuite remplacé par une machine à vapeur.  

Gravure des manufactures JTPF

En 1859, Cartier-Bresson fait construire une usine à Pantin et le dépôt de la rue Saint-Denis est transféré boulevard de Sébastopol à Paris.

Les Etablissements Cartier-Bresson

Dès 1860, La société JTPF, est une filature qui profite de l’apparition de la machine à coudre pour fabriquer du fil à coudre en coton. Elle est la première société française à fabriquer du fil pour les machines à coudre et dépose un brevet pour une machine à glacer les cotons fins. JTPF achète le coton aux Etats-Unis, dont le transport peut parfois durer 5 mois.

En 1864, les Ets Wallaert changent de nom pour Wallaert Frères. Cette société devient un véritable « empire du textile » à la fin du second empire, en plus d’une filature, elle compte le tissage de toiles et la blanchisserie de toiles de lin.

Entre 1860 et 1870, c’est la généralisation de la machine à coudre, le fil de coton détrône le fil de lin qui est plus cher et moins souple que celui en coton.

En 1867, le temps de travail journalier dans la manufacture D.M.C est de 11 heures. A cette époque, D.M.C. fait construire sa « cité ouvrière » qui sera un exemple pour toutes les autres cités ouvrières de France.

A la même époque, JTPF préfigure sa future cité ouvrière en créant des cours et des rues proches de sa manufacture pour les logements des ouvriers.

Pendant l’annexion de l’Alsace par l’Allemagne, D.M.C crée un établissement en France, à Belfort, afin de continuer à vendre en France sans payer des droits de douane.

A partir des années 1870, Cartier-Bresson s’étend dans l’Est de la France avec des installations nouvelles.

Le marché du fil de lin diminue petit à petit.

A partir de 1880, la société JTPF achète des terrains pour agrandir sa manufacture. L’usine de Loos, en banlieue de Lille, comprend 535 salariés.

En 1886, Thérèse de Dillmont, une aristocrate viennoise s’installe à Mulhouse. Amie de Jean Dollfus elle crée avec son soutien une école de broderie près de Mulhouse. Elle écrira la même année l’Encyclopédie des Ouvrages de Dames, vendue dans 17 pays à 2 millions d’exemplaires.

    L'encyclopédie de Thérèse de Dillmont

 

20ème siècle

De 1890 à 1914, l’industrie du fil détrône toutes les autres activités de l’entreprise D.M.C. Avec la construction d’une nouvelle filature, la société décide de fermer ses ateliers centenaires de tissages et d’impression sur tissus. Le temps de travail y est ramené à 10 heures. Ce sont 6600 personnes qui travaillent sur le site de Mulhouse et 1000 à Belfort.

En 1900, l’électricité arrive dans la filature JTPF et les machines modernes qui vont avec. Cette manufacture s’étend sur 20 hectares, compte 2000 ouvriers. La production comprend : fils de coton, simples, retors, câblés écrus, blanchis ou teints, pour les fils à coudre, la bonneterie, la ganterie, les tulles…

En 1910, Wallaert Frères compte 2700 ouvriers, 3 filatures de coton, une retorderie, et de l’activité dans le lin.

La filature Wallaert Frères

Pendant la première guerre mondiale, la société JTPF s’installe dans la Somme car les bâtiments de Loos et Lille sont occupés par l’armée allemande pendant 4 ans. Les bâtiments de Wallaert Frères sont incendiés en 1914, Ce qui en restait est complètement détruit lors de l’explosion d’un dépôt de munitions en 1916.

A la fin de la première guerre mondiale, l’entreprise D.M.C sort du giron familial. Le temps de travail est ramené à 8 heures avec le samedi après-midi de libre.

En 1919, la société JTPF rachète la société Frings et Cie (notamment les coton L.V.) avec ses usines de Paris, Vitry sur Seine et Hellemmes.

Pour mémoire, c’est à partir de 1920 qu’apparaissent les premières machines à coudre électriques.

En 1923, la société D.M.C oriente sa production quasi exclusivement sur le fil à coudre, et à broder, de tricot et crochet. Elle emploie 9000 personnes en produisant 6500 tonnes de fil par an.

La société JTPF achète encore des terrains attenants à la manufacture afin de s’agrandir et de créer une cité jardin avec 88 maisons pour les familles et 3 immeubles collectifs pour les personnes âgées.

En 1924, la société JTPF compte 3170 employés, ouvriers et ouvrières. Cette même année, la société JTPF et la société Cartier-Bresson signent un accord d’intérêt afin de ne pas se concurrencer. Puis, en 1931 la société Cartier-Bresson fusionne avec la société Thiriez, c’est la création de la société J. Thiriez et Cartier-Bresson : TCB. La direction est gérée par les deux familles et certaines productions conservent les noms « Cartier-Bresson » et « Thiriez ». L’usine de Pantin n’est plus qu’une filterie et retorderie, c’est-à-dire que le fil de base est produit par les usines Thiriez, il n’y est que traité, teinté et mis en bobines.

Lors de la seconde guerre mondiale, la société D.M.C arrête son activité de fil par manque de coton, elle est coupée de ses marchés d’exportation au profit de ses concurrents anglais, notamment COATS qui possède des usines aux États-Unis et en Amérique du Sud.

C’est en 1942 que le système métrique devient officiellement la base du numérotage pour le coton en France. Il n’y a plus de numérotage en yards sur les supports de fils.

Dans le nord, les usines TCB sont fortement touchées par les bombardements anglo-américains. Les bâtiments de la société JTPF sont dévastés par les combats de mai 1940, ils seront reconstruits après la guerre.

En 1946, D.M.C reconstitue toutefois ses réseaux et retrouve un très bon taux de ventes à l’exportation.

Dans les années 50, D.M.C et TCB sont les 2 grands concurrents français, avec chacun une gamme de 20 000 références. Ils sont concurrents mais assez complémentaires, car TCB est très rentable sur le fil à coudre tandis que D.M.C l’est plus sur les fils à broder et les ouvrages de dames.

C’est à la même époque que le milieu textile voit se développer les fibres synthétiques.

Dans les années 50, la bakélite, grande invention de la fin du XIXème siècle, permet à l’entreprise Thiriez de déposé un modèle de bobine pour permettre aux couturières d’acheter différentes couleurs sans investir dans des bobines trop longues et trop chères. Celles-ci sont pourvues d’un fil de 93 mètres (100 yards) et facilement reconnaissables avec la bakélite marron imprimé du numéro du fil en blanc sur la tête du Tubino. Il sera remplacé par le polyéthylène blanc des années plus tard et enfin le dernier modèle étant pourvu du snap qui permet de coincer le fil sans que la bobine ne se dévide en roulant.

En 1951, la société TCB compte 5500 ouvriers et employés.

En 1955, le groupe D.M.C se lance dans la fabrication de fil à destination des industriels de la confection.

En 1959, un premier contact entre TCB et D.M.C est entrepris sur l’idée de créer une filiale commune mais n’aboutit pas, les cadres de D.M.C craignant d’être absorbés par l’entreprise lilloise. Un second rapprochement aura cependant lieu en 1961.

En 1960, D.M.C cède son usine de Belfort.

En 1961 a lieu la fusion entre D.M.C et Thiriez & Cartier-Bresson. Le groupe choisi de porter le nom DMC car l’entreprise est déjà cotée en bourse bien que les Thiriez soient majoritaires dans la direction de l’entreprise. La société DMC commence ainsi son implantation dans le Nord.

Le nouveau logo intègre les 3 lettres D.M.C et la tête de cheval si représentative de la marque Thiriez, jusqu’en 1983 où la tête du cheval change de sens pour regarder vers la droite, vers l’avenir.

 La fusion de ces deux entreprises permet de séparer les productions : le fil à coudre pour TCB et le fil à broder et les ouvrages de dames pour D.M.C. TCB apporte à D.M.C son activité industrielle et commerciale. Le groupe crée des filiales de culture et de filterie de coton en Afrique du nord et au Sénégal. L’effectif du groupe est de 6000 personnes.

A cette époque, L’État français oblige le regroupement des productions textiles. Le groupe D.M.C rachète alors des entreprises de la filière (fabrication de bretelles, ceintures, glissières, laines à tricoter et de canevas pour tapisseries à la main) et l’entreprise lilloise Wallaert Frères en 1971 qui pèse ¼ du marché national en fils à coudre industriel et emploie 1178 personnes ; mais il s’éloigne aussi en investissant (malencontreusement) dans des domaines plus éloignés tels que : le linge de maison Descamps, le sportswear, les loisirs créatifs et l’édition. En 1972, le groupe DMC comprend 110 sociétés et emplois presque 20 000 personnes sur des machines qui s’automatisent et sont plus performantes. C’est cependant le début d’une lente descente vers le déclin, sans plan de développement cohérent pour ce grand groupe.

1973 est l’année de la grande crise pétrolière. Les Thiriez sont toujours à la tête de la société D.M.C. La crise fait augmenter le prix des matières premières et baisser la demande. Il y a aussi la concurrence accrue par la dépréciation du dollar et l’augmentation des salaires des ouvriers du textile. D.M.C cède certaines de ses entreprises, restructure pour fermer plusieurs dizaines d’usines.

Le choc pétrolier modifie la consommation du plastique dans l’industrie avec notamment l’apparition des bobines de fil en plastique.

Le groupe D.M.C compte 26 700 salariés, loin derrière COATS qui en emploie 75 000. Sur le marché français D.M.C pèse cependant 85% du fil pour ouvrages pour dames, 80% du fil à coudre en mercerie, 40% du fil à coudre industriel.

A partir de 1975, D.M.C perd de l’argent jusqu’en 1978. La branche Thiriez du groupe est déficitaire et doit fermer et céder une cinquantaine d’usines.

Ce sont 21 400 salariés qui travaillent dans le groupe en 1979. Le groupe D.M.C retrouve des bénéfices et développe la vente au détail. Cela dit, la crise dans le textile en 1981 n’épargne pas le groupe qui supprime encore des emplois, -5000 postes depuis 1978.

Le groupe D.M.C demeure le n°2 mondial en broderie et mercerie derrière COATS. Le groupe n’en demeure pas moins la première entreprise textile et le 1er fabricant de fil à coudre de France. Le groupe continue de céder ses parts. Elle passe de 19 000 salariés en début d’année 1982 à 15 000 à la fin de la même année, puis à 14 500 en 1983. La concurrence textile des pays à bas salaires tels que le Maroc ou la Chine est rude.

Gérard Thiriez est le dernier président du groupe DMC issu de la famille Thiriez. Il cède sa place à Julien Charlier en 1982, un belge du monde la sidérurgie aux méthodes américaines. Il est d’abord Directeur Général afin de sauver « le plus gros groupe français du textile », avant de devenir Président du groupe D.M.C.

C’est la fin d’une dynastie, mais la tête de cheval qui était la signature de la famille Thiriez restera à jamais puisqu’elle est encore intégrée au logo D.M.C. A partir de là, le groupe n’est plus dirigé de la même manière que les familles Dollfus, Thiriez, ou encore Cartier-Bresson. Ce nouveau PDG incite notamment D.M.C à s’implanter en Chine dans le milieu des années 90 pour une partie de sa production.

En 1986, le groupe cède la société Wallaert frères à Le Blan qui déposera le bilan en 1989.

Jusqu’en 1988, TCB est resté l’actionnaire majoritaire de D.M.C mais son pourcentage a fortement baissé suite aux différentes fusions et cessions pour descendre à 7,7% en 1991. En 1993, TCB cède toutes ses actions à la Banque Indosuez, du groupe Crédit Agricole.

Julien Charier quitte la présidence du groupe en 1994.

Le groupe D.M.C ne compte plus que 10 000 salariés en 1998 (30 entreprises fermées, 6000 licenciements).

 

21ème siècle

En 2000, COATS, le concurrent historique de D.M.C, récupère les activités historiques de fil à coudre industriel et le matériel installés dans l’usine Thiriez de Loos qu’il liquidera. L’usine historique sera en grande partie rasée en 2008. A eux deux, COATS et D.M.C représentent 70% du marché mondial du fil à coudre et à broder.

En 2008, D.M.C qui accumule une dette de 14 millions d’euros et ne compte plus que 1150 salariés, se sépare entre autres de la chaîne de magasin Loisirs & Création dont il détenait 66% qui mise en redressement judiciaire.

A 800 salariés le groupe ne conserve plus que la fabrication de velours (Velcorex, D.M.C tissus) et de fil à broder en coton mouliné (D.M.C). Suite à des erreurs stratégiques, D.M.C se retrouve en liquidation, sans compter le retrait de son principal actionnaire (40%) de DMC, Guiness Peat, qui n’est autre que l’actionnaire majoritaire (100%) de COATS.

La société de conseil Krief Group, spécialisé dans le redressement de PME en difficulté, reprend ce qu’il reste de la société D.M.C, son activité de velours et de fil à broder en décembre 2008, pour liquider l’activité de production de velours en 2010.

Il ne reste que les fils à broder en coton mouliné et 350 salariés, replié sur 1/3 des bâtiments construits par l’empire D.M.C, dans ce qui fut l’un des plus grands groupes de textile et industriel européens au XXème siècle.

En 2014, une grande partie du patrimoine industriel de D.M.C est démoli, dont la filature historique construite en 1812 et le bâtiment de la machine à vapeur.

En 2016, D.M.C est racheté par le fond d’investissement britannique BlueGem Capital Partners basé à Londres, qui détient entre autres Mamas&Papas (mode enfant et puériculture) et Liberty ainsi que Wool and The Gang. D.M.C ne compte plus de 300 salariés.

En 2017, les deux derniers sites de production du groupe emploient environ 200 personnes à Illzach et Mulhouse. Le développement est essentiellement axé sur la présence de D.M.C sur internet, sa plateforme digitale avec des diagrammes téléchargeables et le lancement de nouvelles couleurs de fils de coton mouliné.

En 2018, D.M.C change à nouveau d’actionnaire majoritaire en passant dans le giron de Lion Capital, un fond de pension anglais également actionnaire de Picard ou encore Afflelou. Oui oui, un fond de pension.

D.M.C réalise toujours la filterie et retorderie sur son site de Mulhouse où elle réalise la teinture des fils et le retordage des échevettes de coton d'Egypte (117 MC, coton perlé...). Elle semble vouloir relocaliser sa fabrication de toile à broder en France. En 2021, DMC est autonome dans son développement et compte 500 salariés. 

A l’heure actuelle, il reste très peu de filatures françaises de fil à coudre ou à broder.

L’entreprise J. Toulemonde Père et Fils créée en 1903 à Marcq en Baroeul, dans la métropole lilloise, est une des dernières filatures françaises de coton et de lin. Cette entreprise familiale, ne subit pas les différentes crises comme les grands groupes textiles. Elle investit dans les années 60 dans de nouvelles machines, se diversifie et ne se laisse pas décourager dans les années 80. Elle se modernise encore pour fournir des fils de qualité. En 1998, elle rachète l’entreprise Texmonde spécialisée dans la fabrication de fils à coudre. Puis, en 2007, elle fait l’acquisition de la maison Vrau en faillite et ses célèbres marques de fils à coudre Fil au Chinois et de Laines Saint-Pierre. L’entreprise J. Toulemonde Pères et Fils produit encore sur son site historique.

La maison Sajou créée en 1830 fabriquait des ouvrages pour dames ainsi que des albums de modèles à broder. La marque Sajou est redéposée en 2004 par une collectionneuse en mercerie. Elle décide de commercialiser les marques telles que Fil au Chinois, Laines Saint-Pierre, etc, sans en avoir l’exclusivité, valorisant ainsi la fabrication française et uniquement française. Je vous invite à aller sur leur site internet si vous aimez les anciens objets de mercerie, la broderie classique et traditionnelle, les « ouvrages de dames » et les très beaux ciseaux.

L’histoire des grandes filatures françaises s’arrête tristement ici. Toutefois, si vous disposez de vieilles bobines, tubes, cartes, fusettes ou échevettes avec les étiquettes encore lisibles, conservez-les précieusement, elles sont le témoin d’une époque où le fil français avait toute sa place dans le monde des filatures nobles. Et si les noms sur leurs étiquettes font échos à ceux que vous avez lu plus haut, voici quelques indices pour tenter de dater des bobines de ces marques-là.

A priori :

Si la numérotation est anglaise, en yards, elle date d’avant 1942. Le chiffre en mètre n’est pas rond et celui en yards l’est, ex : 73m, 80 yards.

Si la numérotation est métrique la bobine date d’après 1942. Le chiffre en mètre est à la dizaine, ex :  100m.

S’il est gravé Dollfus Mieg et Cie sur la bobine en bois en toutes lettres sans étiquettes et logo, il semblerait que votre trésor date d’avant 1900.

S’il est écrit D.M.C sans cheval et/ou avec une cloche : avant 1961.

S’il y a écrit D.M.C avec un cheval : après 1961.

S’il est écrit D.M.C avec le cheval qui regarde à gauche : entre 1961 et 1983,

S’il est écrit DMC avec le cheval qui regarde à droite : après 1983.

LV : Maurice Frings & Cie (anciennement L.Viarmé.Frings & Cie) = avant 1919 (puis fusion avec la société JTPF).

S’il est écrit Thiriez sans tête de cheval = avant 1857. 

S’il y a seulement écrit Thiriez avec un cheval : avant 1925.

S’il est écrit JTPF Fil cablé glacé : à partir de 1925.

S’il est écrit TCB : après 1925 et avant 1961.

Tubino marron avec Thiriez : à partir des années 50/60, avec TCB écrit dessus : avant 1961, avec DMC : après 1961.

S’il est écrit Cartier-Bresson seul : avant 1925.

S’il est écrit Wallaert Frères : après 1864 et avant 1971.

S’il est écrit Ets Wallaert : avant 1864.

Si la bobine est en bois, elle daterait d’avant les années 60/70, le plastique prend l’avantage ensuite.

Merci d’avoir lu jusque-là.

Je suis intéressée par vos retours sur le sujet, vos remarques renseignées afin d’alimenter et compléter et/ou corriger le texte.

Laissez-moi un commentaire, je serai ravie de le lire et d’y répondre.

Quant à mes sources, les voici : 

Le petit musée virtuel http://www.thiriez.org/accu/accusite.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Famille_Thiriez

https://fr.wikipedia.org/wiki/Dollfus-Mieg_et_Compagnie

http://www.franceterretextile.fr/liste-entreprises-labellisees-terre-textile/

http://www.thiriez.org/PDF/DicoMarquesTextileAnciennes.pdf

http://connaitrelawallonie.wallonie.be/fr/wallons-marquants/dictionnaire/charlier-julien#.YCL6UJNKhUM

https://www.hebdi.com/2019/03/28/dmc-un-savoir-faire-alsacien-ou-la-mondialisation-avec-un-siecle-davance/

https://sajou.fr/fr/blog

https://www.cilac.com/1362-revue-de-presse-dmc-a-mulhouse

http://lewagges.fr/?tag=filature-1812

http://ouvragesdedames.canalblog.com/archives/2014/06/18/30088704.html

https://www.nouvelobs.com/l-obs-du-soir/20150120.OBS0383/l-emploi-tient-a-un-fil.html

Précédent
Précédent

Conscientiser l’achat d’un dessin brodé